La retraite ardente

La retraite ardente

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Cette plaine, avec sa riche terre violette, avec la rivière qui l’entaille et y découpe en festons une étroite vallée, le village qui flanque la coupure et le pont qui la traverse, — les hommes ont proclamé tour à tour, dans la coulée des âges, qu’elle était à l’empereur, au duc, au roi, ou bien qu’elle était l’apanage de tous les citoyens se gouvernant eux-mêmes. A d’autres époques, ils ont souscrit des traités enregistrant que la rive droite était le bien de ce peuple-ci, et la rive gauche le bien de ce peuple-là, qui parlait la même langue que l’autre, cultivait sur un sol tout pareil les mêmes prairies, les mêmes champs de froment, de seigle ou de houblon, semait, sarclait, fauchait, engrangeait aux mêmes jours, sous le même visage hostile ou miséricordieux des saisons. Entre chaque signature, on se querella, on se battit, on s’égorgea. Beaucoup de récoltes furent détruites en herbe ou en gerbes, et beaucoup de corps d’hommes pourrirent dans leurs racines. Le village fut incendié, rebâti, démoli par les boulets, rebâti à nouveau. Sa belle église rapetissa, rognée, rapiécée ; il advint que la flèche gothique fut rasée jusqu’aux assises qu’elle appuyait sur une tour carrée. Pareillement, de l’autre côté de la rivière, à une lieue et demie du village, un très ancien monastère de femmes, construit comme l’Escurial sur le plan du gril de saint Laurent et ceint d’un parc immense, subit, lui aussi, les vicissitudes et les malheurs des temps : incendié, pillé, violenté, souillé. Des révolutions en ouvrirent les portes et dispersèrent les moniales… A chaque intervalle paisible, il réparait ses murs et ses toits, refermait sa ruche sur un essaim d’âmes, s’agrandissait même, s’adjoignait un hôpital de pauvres qui finit par le protéger contre la férocité des gens.

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